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10 juin 2009 3 10 /06 /juin /2009 11:11

Cet article s'adresse aussi bien aux ingrats qu'à ceux qui vivent l'ingratitude. La connaissance que peuvent avoir les ingrats de leur fonctionnement les conduira, je l'espère, à revisiter leurs conduites pour soulager la souffrance des victimes de l'ingratitude.

L'ingrat

"Il n'y a qu'un seul vice dont on ne voit personne se vanter, c'est l'ingratitude" disait Gérard de Nerval . En effet, peu nombreuses sont les personnes qui avouent avec modestie et courage : "j'ai été ou je suis un ingrat". Comme si cela touchait à quelque chose de si intime en soi que l'aveu pourrait  priver l'ingrat de toute humanité. Pour lui, la seule façon d'échapper à cette horreur qu'il a de lui-même  se traduit par :
-  Enfermer cette pensée négative dans un coffre pour l'oublier à tout jamais ;
-  Considérer que les bienfaits reçus sont naturels et ne méritent aucun retour ;
-  Examiner les actions engagées par l'autre envers soi comme un devoir (il n'a fait que ce qu'il devait faire !) ;
-   Minimiser la valeur de ce qui  lui a été donné ;
-   Neutraliser ou se rendre quitte de la dette qu'il a à l'égard de l'autre - idée insupportable pour certains ingrats - par des projections dévalorisantes du type "tu as été souvent une méchante mère, donc je ne te dois rien".

-   Exprimer de la fausse reconnaissance par un discours inauthentique, truffé d'ambiguités.
On comprend que toutes ces méthodes ou mécanismes de défense servent à protéger l'ingrat  de se reconnaître comme non reconnaissant.

La victime de l'ingratitude

Généralement les personnes qui souffrent de l'ingratitude s'expriment peu. Peut-être parce qu'elles ne comprennent pas ce qui leur arrive. Confusément elles ressentent le déséquilibre entre la position de celui qui (ou celle qui) a le pouvoir de marquer sa reconnaissance et le manque dont elles souffrent. Car le manque de reconnaissance se trouve être la chose la plus difficile à exprimer envers la personne qui pourrait la manifester. Le phénomène de l'ingratitude met en scène deux êtres singuliers, irremplaçables. La victime d'une ingratitude aspire à un seul signe, un seule geste de la part de celui-là même qui a provoqué le manque. Aucun déplacement n'est possible ; les voici liés.
La victime rejette la pitié et ne demande qu' a être reconnue dans ce qu'elle a fait pour l'autre. Rien de plus. Mais rien de moins. Ces situations durent longtemps car l'un s'abstient (l'ingrat) quand l'autre attend un signe, une marque de gratitude, d'attention qui ne vient pas.
Allons plus loin. Cette demande de reconnaissance parfois inextinguible ne cacherait-elle pas une demande d'amour réciproque ? A l'origine, n'y a- t-il pas quelque chose de cet ordre dans l'acte de donner à l'autre ? Une manière de marquer le début d'un partage d'amour qui ne viendra pas. Car l'ingrat n'as pas choisi, il a été choisi, et il prend donc ce qu'on lui offre sans états d'âme. C'est dans ce sens aussi que la victime de l'ingratitude souffre. Sinon, on ne peut pas comprendre pourquoi il souffrirait si longtemps.

Comment sortir de cette impasse ?

Le perdant est à coup sûr la personne qui souffre du manque de reconnaissance. Le pire dans cette affaire, c'est que l'autre ne le sait pas. Et même s'il le sait, il joue l'indifférence comme nous l'avons vu plus haut.
Par conséquent, il revient à la victime de se libérer du manque. Apprendre à se détacher de celui (ou celle) à qui l'on a tant donné, en espérant que cela lui aura été profitable. Réclamer son dû ne sert à rien, n'apportera que conflits et déchirements.
Il faut imaginer des mouvements interpersonnels où chacun dans sa vie sera tour à tour l'ingrat puis victime de l'ingratitude. Ne faut il pas voir ce drame humain comme une chaîne sans fin ?
Celui-là même qui dit "Pourquoi ne suis-je pas reconnu pour ce que j'ai fait pour toi ?" est -il exempt de tout reproche ? A t-il toujours et suffisamment reconnu la dette en direction de son semblable ? Le regard honnête porté sur soi-même, sur nos désinvoltures et défaillances nous aide alors à calmer, à réduire nos exigences de reconnaissance.
Mais attention dans les cas les plus extrèmes, ce maque de reconnaissance (affectif) aboutit parfois à une dépression masquée qu'il convient de faire traiter comme une maladie psychique.


Norbert Zerah
Psychologue clinicien

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